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L’avion à hydrogène bientôt en piste

Publié le 19 octobre 2023

6 minutes

L’hydrogène devrait être un levier majeur pour la décarbonation du transport aérien, qui s’est engagé à atteindre l'objectif zéro émission nette en 2050. Un défi de taille qui implique de repenser dès aujourd’hui l'organisation des aéroports, notamment pour intégrer la chaîne d'approvisionnement en hydrogène liquide. Entretien avec Pierre Hamelin, Directeur des Partenariats au sein de l’activité Hydrogène Énergie d’Air Liquide.

Le secteur aéronautique a adopté l’objectif mondial zéro émission nette en 20501. Quels sont ses principaux challenges pour atteindre cette cible ambitieuse ?

En octobre 2022, les 193 Etats membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) se sont prononcés en faveur de l'objectif « net zéro CO2 » en 2050. Si le transport aérien ne représente aujourd’hui qu’environ 2 % des émissions de CO22 à l'échelle globale, il reste toutefois difficile à décarboner.

Les avions présentent plusieurs exigences particulières : intensité énergétique (notamment en phase de décollage), grande autonomie, limitation du volume et du poids embarqué. Jusqu'ici, le kérosène d'origine fossile répond à ces besoins d'autant que son coût reste compétitif. Cependant, la transition énergétique est devenue inévitable et des alternatives sont indispensables.

C'est là qu'interviennent les carburants d'aviation durable (aussi appelés Sustainable Aviation Fuels ou SAF) mais aussi l'hydrogène ?

En effet. La feuille de route de décarbonation de l'aviation est largement basée sur les carburants alternatifs, mais elle comprend aussi l'amélioration des opérations et des équipements, ainsi que des mesures de compensation (certificats). On parle beaucoup des biofuels et des e-fuels, mais pour atteindre l'objectif net zéro voulu par le secteur, l'hydrogène sera incontournable pourvu qu’il soit bas carbone ou produit à partir d’énergies renouvelables. 

S’agissant des biofuels, il y aura une disponibilité limitée de la biomasse face aux besoins croissants des différents secteurs d’activité, dont la mobilité. Côté e-fuels, leur composition nécessite de grandes quantités d’hydrogène et implique une interaction avec du dioxyde de carbone (CO2) dont la provenance sera aussi scrutée. En définitive, la rareté de l’un et le coût de production de l’autre incite à réserver ces alternatives pour des vols longs courriers. L’hydrogène renouvelable est adapté pour les vols courts et moyens courriers.

Ces solutions sont complémentaires et quoi qu'il arrive, la transition énergétique va impliquer des investissements massifs pour le secteur.

En quoi l'hydrogène sous forme liquide s'impose-t-il dans l'aérien ?

C’est essentiellement une question de densité énergétique. L'hydrogène ramené à l'état liquide est 800 fois plus dense que l'hydrogène gazeux. Ce qui rend son utilisation impérative pour se conformer aux exigences de volumes embarqués auxquelles n’importe quel avion est confronté.

C'est aussi une évidence d'un point de vue logistique : un seul camion transportant jusqu’à 4 tonnes d’hydrogène liquide équivaut à 16 camions chargés avec de l'hydrogène compressé à 200 bar ! Enfin, cet hydrogène liquide permet un ravitaillement dans des délais réduits. L'immobilisation au sol des appareils est un facteur clé pour les compagnies aériennes. Nous travaillons déjà avec les acteurs du secteur afin d’atteindre l’objectif de 15 minutes pour un avion nécessitant 3,5 tonnes d'hydrogène liquide.

Je tiens à souligner une avancée majeure qui a eu lieu en septembre 2023 : la start-up H2FLY, en partenariat avec Air Liquide, a réalisé avec succès le premier vol au monde d’un avion piloté à quatre places et à propulsion électrique alimentée par une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène liquide. Ce dernier comprenait l'ensemble des fonctionnalités nécessaires à un vol commercial (remplissage, récupération de chaleur, régulation de pression, mode transitoire…). Cette expérience peut être reproduite, mise à l'échelle et définitivement partagée au sein de l'industrie aéronautique afin d'accélérer l'avènement de l'aviation à l'hydrogène.

Les avions présentent plusieurs exigences particulières : intensité énergétique (notamment en phase de décollage), grande autonomie, limitation du volume et du poids embarqué.

Pierre Hamelin

Directeur des Partenariats au sein de l’activité Hydrogène Énergie d’Air Liquide

Quelle est la position des avionneurs s'agissant de l'hydrogène ?

Airbus a annoncé à travers son programme ZEROe l’objectif de commercialiser un avion de série propulsé à l'hydrogène en 2035. Fin 2022, l'avionneur a présenté un prototype de système turbopropulseur équipé d’une pile à combustible.

En parallèle, des motoristes tels que Rolls-Royce communiquent sur leurs avancées en matière de combustion directe. J’ajoute que d’autres acteurs de plus petite taille ont déjà expérimenté avec succès des vols à hydrogène et visent des premiers vols commerciaux avant la fin de cette décennie.

 

Justement, comment voyez-vous l'évolution du marché de l'aviation hydrogène dans les années à venir ?

Les choses vont se faire progressivement. Jusqu'en 2030, nous serons en phase de démonstration avec diverses initiatives, qu'elles soient poussées par des start-up, des aéroports ou des collectivités. Une récente feuille de route de l’Association du transport aérien international (IATA), représentant 300 compagnies aériennes dans le monde, a confirmé l’objectif de voir les premiers vols régionaux ayant recours à l’hydrogène avant 2030. Après quoi les vols court courrier (moins de 2 000 km) vont se développer. Enfin, les avions de 200 places avec une portée de 4 000 km sont amenés à entrer en service vers 2040. Je précise que les autres carburants d’aviation durable resteront privilégiés pour les vols très longue distance, c’est l’intérêt de leur complémentarité.

 

Et du point de vue logistique sur les plateformes aéroportuaires ?

Au démarrage, l'hydrogène liquide pourra être livré par camion mais avec des besoins croissants, le stockage puis la liquéfaction d'hydrogène pourront se faire sur les aéroports. En phase mature, nous projetons que certains aéroports puissent produire de l'hydrogène directement sur site, par électrolyse notamment.

Au printemps 2023, Air Liquide a annoncé la création de Hydrogen Airport, une coentreprise avec Groupe ADP. Quel est son objectif ?

Hydrogen Airport est une société d'ingénierie qui vise précisément à accompagner les aéroports dans leur transition vers l'hydrogène. Nous avons identifié environ 200 aéroports d'intérêt, tant régionaux que internationaux. Air Liquide apporte sa connaissance de la chaîne de valeur hydrogène et Groupe ADP3 sa maîtrise de la construction d'aéroports et des opérations aéroportuaires. Forts de ces compétences complémentaires, l'idée est d'avancer pas à pas afin de mettre en place une nouvelle filière.

Dans l’immédiat, l'offre proposée par Hydrogen Airport consiste en des études de faisabilité sur mesure pour les aéroports, incluant évaluation des besoins en hydrogène, modélisation de la chaîne d'approvisionnement selon la situation de chaque aéroport, gestion des implications foncières et estimation des coûts. Un autre exemple : les protocoles de sécurité liés à l'utilisation de l'hydrogène n’existent pas encore dans les aéroports. Il faudra donc les établir. Les aéroports sont des environnements très contraints par nature et chacun a ses particularités propres, qu’il s’agisse de la localisation, des destinations desservies, etc. Les défis sont nombreux, mais ils s’annoncent passionnants.

Les perspectives apparaissent très encourageantes !

Absolument. Les choses se mettent en place et le potentiel est immense. Dans une étude préliminaire menée en 2021 avec Airbus et Groupe ADP, nous avons modélisé les besoins en hydrogène de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle en 2060. Dans une projection haute, 600 vols quotidiens pourraient nécessiter 700 tonnes d'hydrogène liquide. Avec ces volumes et les infrastructures que cela implique, les aéroports pourraient devenir de véritables plateformes énergétiques dans leurs bassins géographiques.

 

1. Engagements formulés par l'OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) ou encore IATA (International Air Transport Association).
2. Agence Internationale de l’Energie 
3. Groupe ADP opère les aéroports de Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle mais aussi d'autres aéroports dans le monde.