Aller au contenu principal

L’hydrogène, une solution pour accélérer la décarbonation du transport de marchandises

Publié le 15 mars 2024

7 minutes

Le transport routier de marchandises contribue au quart des émissions de CO2 liées à la mobilité. Face à ce défi, les États membres de l'Union européenne ont renforcé les règles relatives à la réduction des émissions de carbone des nouveaux poids lourds devant entrer sur le marché. Objectif : -45 % en 2030 puis -90 % en 2040 (comparé aux niveaux de 2019). Pour atteindre ces cibles très ambitieuses, l’hydrogène sera un incontournable du mix énergétique. Thierry Carbonnel, Directeur Marketing Mobilité Lourde chez Air Liquide nous détaille les grands enjeux du secteur.

Quelle est aujourd’hui la place de l’hydrogène dans le transport routier ?

On pourrait croire que l’histoire du transport routier avec l’hydrogène n’en est qu’à ses balbutiements, mais ce n’est pas tout à fait vrai ! En Chine, plusieurs milliers de camions et bus à hydrogène sont déjà en circulation. En Europe, la mobilité hydrogène s’est initialement développée autour de flottes professionnelles, à usage intensif, de véhicules légers. L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit, c’est la flotte de taxis HysetCo en région parisienne. Ceci a permis de démontrer la fiabilité des véhicules à hydrogène et de vulgariser les atouts de l’hydrogène : à l’usage, c’est moins de bruit, un véritable confort de conduite et de l’eau pour seule émission à l’échappement.

Si j’en viens aux grands constructeurs mondiaux de camions, tous sont conscients des échéances qui arrivent. Tous ont au moins un projet de camion hydrogène, qu’il s’agisse de prototypes, de pré-séries voire de véhicules de série. On peut citer Daimler Truck qui teste deux prototypes équipés de piles à combustible, l’un fonctionnant à l’hydrogène gazeux, l’autre à l’hydrogène liquide. IVECO va pour sa part livrer ses premiers véhicules de série courant 2024 dans le cadre du projet HyAMMED. Il y a également Hyundai, nouvel acteur du secteur, qui a déployé ses premiers camions hydrogène en Suisse et aux Etats-Unis.

Quelles sont les différentes technologies qui permettent le fonctionnement des camions à hydrogène ?

S’agissant des motorisations, deux options complémentaires existent. Plusieurs constructeurs les explorent de front, pour accompagner la période de transition. Dit simplement, les véhicules à pile à combustible (PAC) convertissent l’hydrogène stocké à bord en électricité et fonctionnent ensuite comme des véhicules électriques. Les camions développés actuellement bénéficient directement de tous les progrès réalisés sur la technologie PAC (réduction des coûts et efficacité énergétique notamment).

L’autre voie, c’est le moteur à combustion interne (ICE). Dans ce cas de figure, on injecte de l’hydrogène gazeux en remplacement du diesel. On parle alors de “rétrofit”. L’impact direct est moindre sur le plan de la conception du véhicule comme de sa maintenance puisque cela fait plus de 130 ans que les moteurs diesel existent. La technologie est éprouvée par les constructeurs, les garagistes et les chauffeurs routiers. Si l’ICE génère - en quantités bien moindres que pour du diesel - des particules fines et des NOx, il existe toutefois des technologies matures de capture de ces émissions à l’échappement.

Ce que je tiens à souligner, c’est que les constructeurs de poids lourds ont réussi en l’espace de quelques années à se mettre en ordre de marche pour répondre à l’urgence climatique et aux nouvelles réglementations. Lorsque l’on connaît le cycle de développement classique des camions, c’est assez prodigieux.

Quels sont les principaux avantages de l’hydrogène pour les acteurs du transport ?

Pour les transporteurs, il y a trois avantages évidents. Ils sont particulièrement importants car ils touchent au rythme de travail des chauffeurs et donc à la fluidité des opérations. D’abord, il y a la durée du ravitaillement. L’hydrogène permet d’effectuer un plein en 15 à 20 minutes. C’est proche du temps requis pour un plein de diesel et n’impacte pas la logistique et les plannings. Il y a ensuite l’autonomie. Ce même plein permet de parcourir de 800 à 900 km. Cela pourrait même aller au-delà de 1 000 km avec de l’hydrogène liquide, comme l’a démontré Daimler Truck en 2023. Pour un chauffeur, c’est un vrai gage de tranquillité d'esprit ! Il y enfin la charge utile que la technologie hydrogène ne vient pas impacter, puisque 70 à 80 kg d’hydrogène embarqués suffisent, sans recours à des batteries qui réduisent le volume et le poids pouvant être transporté par les camions. Au final, l’hydrogène est particulièrement adapté aux transports longue distance en apportant flexibilité et productivité. Il complète bien l’électrique, qui est pertinent pour des tournées planifiées et de plus courte distance.

Reste la question du coût de cette transition vers l’hydrogène.

Naturellement, tous les acteurs ont à l’esprit les coûts de mobilité hydrogène,  des prix des véhicules jusqu’à celui de l’hydrogène en station. Une projection partagée avec plusieurs grands constructeurs européens prévoit la parité hydrogène / diesel pour 2030. Parmi les facteurs favorables à l’hydrogène figurent la baisse progressive du prix du kilo de la molécule, la baisse des coûts de production et de maintenance des camions et les incitations fiscales. En parallèle, on devrait assister à une augmentation de la fiscalité, tant sur le litre de diesel qu’une augmentation de l’Eurovignette. Il ressort que la transition progressive des flottes dépendra donc de la mise en place de mesures de politique publique appropriées et je dirais ambitieuses !

Quels sont les atouts d’Air Liquide pour répondre au défi de la décarbonation du transport routier ?

C’est simple, nous couvrons toute la chaîne de valeur de l’hydrogène. Le cœur de métier d’Air Liquide se concentre sur sa production, son stockage, son conditionnement et sa distribution. C’est donc sur ces leviers que nous agissons en premier lieu. S’agissant de la production, il n’y a pas de secret : il nous faut produire une part croissante d’hydrogène bas carbone ou renouvelable. Sans cela, nous ne répondons pas à l’enjeu de la décarbonation des transports. Des investissements majeurs ont été engagés, comme notre électrolyseur Air Liquide Normand’Hy, d’une capacité de 200 MW, qui verra le jour en 2026. Et 200 MW, c’est 28 000 tonnes d’hydrogène produites par an, dont une part alimentera le secteur de la mobilité. Du reste, la massification de la production contribuera à atteindre plus vite un coût compétitif de l’hydrogène bas carbone. C’est aussi dans ce but que nous travaillons sur de nombreuses briques technologiques. Compétitivité, sécurité, fiabilité et baisse du TCO sont nos priorités.

Comment Air Liquide entend accompagner les acteurs du transport routier dans leur transition vers l’hydrogène ? 

La décarbonation du transport routier ne peut être menée que de manière commune. Dans cet état d’esprit, nous avons développé différents partenariats ou projets qui nous permettent de mieux comprendre et d’apporter des solutions aux problématiques des différents acteurs du secteur : constructeurs, équipementiers, opérateurs de flottes… Notre accompagnement est axé sur les technologies. C’est notamment le cas avec FORVIA (Faurecia) avec qui nous collaborons pour développer les réservoirs d’hydrogène liquide de demain. Nous aidons aussi nos clients dans la recherche de subventions afin d’opérer leur transition vers l’hydrogène. Ces financements peuvent être obtenus auprès de différents organismes : Union Européenne, gouvernements, régions... Les clients qui souhaiteraient tester dès maintenant l’hydrogène et évaluer les technologies disponibles doivent savoir que c’est possible et que nous sommes à leurs côtés !

En janvier 2024, Air Liquide et TotalEnergies ont donné naissance à TEAL Mobility, coentreprise détenue à 50/50. En quoi consiste-t-elle ? 

TEAL Mobility entend accélérer le développement de l’hydrogène pour les poids-lourds longue distance en développant un réseau de plus de 100 stations hydrogène en Europe dans les 10 années à venir. Ces stations, opérées sous la marque TotalEnergies, seront situées sur les principaux axes routiers et contribueront au maillage du territoire voulu par le Conseil européen (règlement AFIR). Celui-ci vise l’objectif d’une station hydrogène tous les 200 km d’ici 2030. Forte de cette ambition, TEAL Mobility contribuera significativement à résoudre le fameux paradoxe de l'œuf et de la poule. Pour convaincre les constructeurs de camions à mettre rapidement des modèles à hydrogène sur le marché et les opérateurs à les intégrer dans leurs flottes, il faut des stations en nombre suffisant et avec des capacités adaptées (à partir d’1 tonne/jour). Ce n’est pas le seul facteur, on l’a vu, mais il sera décisif.



1. L’Eurovignette est une taxe permettant d’utiliser des réseaux routiers. Les propriétaires de camions dont le poids total admissible en charge à partir de 12 tonnes doivent par définition acquérir l’Eurovignette pour pouvoir utiliser les autoroutes et voies rapides à péage dans les pays concernés.